Intervention de Guy Georges

guy-georgesNous sommes réunis pour commémorer un moment décisif dans l'histoire de notre Nation : le vote le 9 décembre 1905 et la promulgation au Journal Officiel le 11 décembre 1905 de la loi de Séparation des Églises et de l'État. 

 

55 ans après l'appel pressant de Victor Hugo aux députés "Je veux ce que voulaient nos pères, l'Église chez elle, l'État chez lui", les députés républicains donnaient à la République encore chancelante le socle laïque sur lequel elle allait grandir et s'affirmer, ce socle laïque qui lui assurerait un fonctionnement démocratique fondé sur la liberté de conscience et l'égalité de tous les citoyens devant la loi commune.  

 

Mais nous sommes réunis aussi pour affirmer notre attachement à notre République "indivisible, laïque démocratique et sociale", ces quatre qualificatifs qui figurent dans notre Constitution depuis 1946. Nous sommes réunis pour marquer notre volonté de défendre la loi du 9 décembre 1905 car des menaces persistent venant des plus hautes autorités de l'État qui n'ont pas caché, dès 2005, leur intention de "changer" la loi.  

 

Ce qui est intouchable, ce sont les deux premiers articles de la loi. Ce sont les articles fondateurs du socle laïque. Ils ont été tellement déformés, calomniés, bafoués, qu'il est nécessaire de les redire, de les faire connaître à ceux qui les ignorent ou en ignorent les enjeux. 

 

Dans son article premier, l'État assure la liberté de conscience. Pour la première fois dans un texte de loi, il est dit que chaque citoyen est libre de croire ou de ne pas croire. 

 

Et l'État garantit la liberté de culte. Donc de pratiquer la religion de son choix. 

 

Ainsi, la laïcité de l'État n'est pas antireligieuse, contrairement à cette calomnie séculaire qui ose prétendre le contraire. 

 

Pour assurer l'équilibre entre ces deux libertés, la loi en tire une conséquence garante de la paix civile et de l'égalité de tous les citoyens. Elle sépare dans le fonctionnement de l'État ce qui relève d'options privées, personnelles et ce qui relève de choix publics communs à tous. 

 

Ainsi, l'article 2 de la loi stipule que l'État ne reconnaît, ne salarie, ne subventionne aucun culte. 

 

"C'est cette indépendance réciproque qui est gage de paix. C'est cette neutralité qui est menacée. 

 

Elle est quotidiennement insultée... Le mépris insolent vis à vis de la loi, affiché le 8 octobre par le Chef de l'État au Vatican, confirme la menace qui pèse sur elle.  

 

L'école, la nature de l'enseignement qu'on y donne, préfigurent toujours le type de société voire le régime politique qui va s'imposer. 

 

Il y a un demi-siècle, nos anciens avaient prévenu : le vote de la loi dite loi Debré ouvrirait la voie au communautarisme. 

 

Ils ne s'étaient pas trompés. Le bilan que l'on peut dresser aujourd'hui est sans ambiguïté. 

 

Les statistiques officielles du MEN les plus récentes montrent que l'enseignement privé n'est plus seulement religieux (les écoles juives, évangélistes, musulmanes sous contrat, c'est-à-dire financées par l'impôt de tous, progressent certes). Mais sont apparues les écoles privées régionales (breton, basque, catalan...) Est apparu un mouvement issu du club de la droite extrême, le club de l'Horloge, qui invite les parents à créer leurs propres écoles en fonction d'affinités sociales, professionnelles, voire politiques disent ses penseurs. C'est le travail de démolition du service public que mènent des associations comme "SOS Éducation" ou "Créer son école". 

 

600 écoles de ce type fonctionnent actuellement. 

 

Le père fondateur de la loi Debré, M. Michel Debré mettait en garde contre la "chimère dangereuse" que serait la constitution d'une sorte d'université concurrente de celle de l'Éducation Nationale. En octobre 2009, la loi Carle mettait un point d'orgue à la constitution de cette concurrence institutionnelle en officialisant la "parité" entre l'enseignement public et les établissements privés. 

 

Ainsi, la République faisait naguère œuvre d'unité nationale en ouvrant l'enseignement public gratuitement à tous les enfants sans considération de croyances, de situation sociale. 

 

Aujourd'hui, l'État organise la séparation des enfants dans des établissements privés à caractère religieux, régionaliste, linguistique, social, voire politique. 

 

Et la politique gouvernementale y pousse.Dans le même temps, depuis 60 ans, l'école laïque subit une politique qui conduit à son asphyxie.

 

Il n’y a pas un gouvernement de droite qui n’ait réduit ses moyens.

 

L’enseignement public est véritablement saigné depuis 3 ans alors que son concurrent privé est étonnamment épargné.

 

Tout cela pour que les mouvements comme "SOS Éducation" puissent plus facilement dénigrer et démanteler l’école laïque.

 

…Et ainsi faire une place plus large à l’entreprise privée d’enseignement.

 

Vous savez, amis laïques et enseignants, pour le vivre quotidiennement, ce que la concurrence privée veut dire.

 

Permettez à l’ancien responsable d’un syndicat qui rassemble toute la profession : institutrices, instituteurs, professeurs des collèges, de faire ici leur éloge en contestant les propos inacceptables de M. Sarkozy certain jour de décembre 2007.

 

Contrairement à ce que M. Sarkozy a pu affirmer le 20 décembre 2007 en l'Église St Jean de Latran, dans la transmission des valeurs et dans l'apprentissage du comportement moral, jamais le clerc (qu'il soit curé, rabbin, imam) ne pourra atteindre le rayonnement de l'Instituteur.

 

II va de soi que j’associe à l'Instituteur son appellation d'aujourd'hui "Professeur des Écoles". Car sa mission, instituer, élever l'homme en devenir qu'est l'enfant n'a pas varié. Je mettrai donc une majuscule à l'Instituteur.

 

Pourquoi les Adolphe Thiers de toutes les époques haïssent-ils I'Instituteur ? Ils l'ont dit. Celui-ci apporte l'instruction la plus large, la plus ouverte à l'ensemble du peuple ; et "l'instruction est un commencement d'aisance et l'aisance n'est pas réservée à tous" (déclaration de Thiers).

 

Parce que les Adolphe Thiers de toutes les époques comptent sur le clergé "pour propager cette bonne philosophie qui apprend à l'homme qu'il est ici pour souffrir" (A. Thiers) Ils le disent plus ou moins ouvertement : les Églises sont garantes de l'ordre social. 

 

Le clerc n'atteindra jamais le rayonnement de l'Instituteur parce qu'il est homme de la résignation, du maintien des intelligences dans le moule des dogmes.

 

Le clerc doit apprendre à la jeunesse la docilité, la soumission à l'autorité imposée du dogme. L'Instituteur lui apprend la responsabilité, la richesse du libre examen. 

 

L'Instituteur est homme de l'espérance, de l'avenir. Il apprend à la jeunesse à comprendre ce monde où elle vit et se développe, à en maîtriser les évolutions. Il ouvre toutes grandes les fenêtres de la connaissance aux intelligences juvéniles. Tandis que le clerc les maintient frileusement fermées sur ses certitudes d'antan. Il lui manque toujours d'être de plain-pied dans le monde tel qu'il évolue.

 

Le clerc a mission de figer la société dans son passé. L'Instituteur a mission de l'ouvrir sur un avenir à construire.

Le clerc n'atteindra pas davantage le rayonnement de l'Instituteur dans l'apprentissage du bien et du mal.

 

Parce que la morale que doit enseigner le clerc, la morale religieuse, est marquée par le dogme et ne peut s'en échapper. Alors que la morale laïque qu'enseigne l'Instituteur est au-dessus des confessions particulières et puise son enseignement aux sources que sont la conscience et la raison.

 

La morale dogmatique est idéologique et divise entre elles les différentes Églises. La morale laïque parce qu'elle s'enseigne sans le dogme est universelle et rassemble.

 

Contre la transcendance selon la diversité des Églises, la morale laïque détermine et affirme la capacité morale de l'humanité.

 

Ainsi, l'Instituteur transmet au jeune élève une spiritualité laïque qui l'invite à se comporter en honnête homme envers lui-même et envers la société dont il est une composante.

 

L'Instituteur le prépare au difficile apprentissage de la liberté et de la responsabilité, valeurs indissociables qui le guideront sans autre référence que sa conscience, dans ses actes, ses choix.

 

L'Instituteur lui transmet des principes de vie qui, l'affranchissant des allégeances dogmatiques, donnent du sens aux droits et devoirs individuels et collectifs, à la perception de la notion de citoyenneté, au concept généreux de Nation.

 

Ainsi l'Instituteur incarne-t-il mieux que le clerc, ici et maintenant, le "charisme d'un engagement porté par l'espérance".

 

Vous avez gagné la bataille de l'école laïque dans les années 50 Aujourd'hui, c'est l'ensemble de l'école, dans son fonctionnement même, qui est démantelée par des mesures cohérentes, la suppression de la carte scolaire, qui malgré ses imperfections, était garante d'égalité, la suppression des structures de soutien aux enfants en difficulté, la suppression des instituts de formation des enseignants, la création de jardins d'éveil (structures privées dont le but est de tuer peu à peu l'école maternelle).

 

Autant de pas vers la marchandisation de l'enseignement. Autant de pas vers l'éclatement de la Nation, dès l'enfance. Cela porte un nom, une société communautariste.

 

C'est une société fondée sur l'égalité de traitement des communautés qui peu à peu s'organise. On a inventé un droit qui était si j'ose dire pain bénit pour les religions, le droit à la différence. Les différences sont une réalité, un fait qu'il convient de sauvegarder. Tout à coup, c'était un droit d'être différent, donc la possibilité de s'organiser à partir de ce droit. Immédiatement a resurgi une conception qui mettait à mal le concept de laïcité. Il y avait cette laïcité, celle, la vraie, de 1905 qui séparait les Églises et l'État… Et revenait à la mode cette laïcité affublée d'épithètes : ouverte, plurielle, apaisée, positive. Quelle était la conception de cette laïcité "ouverte" ? Une reconnaissance et un traitement égal des différentes religions... Rappelons-nous cette formule du rapport Stasi "le temps de la laïcité de combat est dépassé, laissant la place à une laïcité apaisée, reconnaissant l'importance des options religieuses et spirituelles, attentive également à délimiter l'espace public partagé".

 

On ne saurait donner une définition plus limpide de l'organisation communautariste de la société.

 

On retrouve cette démarche dans l'action gouvernementale. Le ministre de l'Intérieur du moment (2005), M. Sarkozy favorise la création d'un mouvement islamiste radical, l'UOIF, à côté du CRIF, de la Conférence des Évêques et du modéré Conseil français du culte musulman de la mosquée de Paris.

 

Les communautés religieuses s'organisent. En tête peut-être la plus fermée la communauté juive. La communauté musulmane avance ses exigences sociales, alimentaires et s'organise en conséquence. Qu'est-ce donc que cette tentative de débat sur l'identité nationale sinon la recherche de critères définissant la "communauté française" dont la souche, selon les responsables du pouvoir, est dans les "valeurs chrétiennes" ?

 

On voit se juxtaposer des regroupements selon des options religieuses, pourquoi pas demain des options régionalistes ou ethniques, sociales, professionnelles, politiques, qui pointent l'oreille ?

 

Notre république indivisible se transforme insidieusement en un habit d’arlequin dont l'Histoire et des conflits quotidiens dans le monde nous rappellent les dangers.

 

Autre conséquence de cette dérive communautariste, le retour du cléricalisme, c'est-à-dire la tendance des clergés à vouloir interférer dans les décisions politiques et surtout les problèmes d'éthique que soulève le progrès scientifique.

 

C'est bien le principe essentiel de la démocratie et de la laïcité qui est remis en cause. L'égalité en droits et en devoirs des citoyens.

 

C'est ce qu'organisait la loi du 9 décembre 1905, en écho à l'article 1er de la déclaration des droits de l'Homme : "les hommes naissent libres et égaux en droits".

 

C'est ce qu'a pu inscrire la représentation nationale dans l'article 1er de la Constitution de 1946, reprise par celle de 1958.

 

"La France assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion".

 

Aujourd'hui, on substitue à cette égalité entre citoyens l'égalité entre communautés. On revient un siècle en arrière.

 

II faut choisir entre l'égalité des droits dans la richesse des différences et l'égalité des différences dans la diversité des droits.

 

Non ! Ce n'est pas l'État qui doit s'organiser en fonction des particularismes. Ce sont les particularismes qui doivent s'insérer dans la Nation en fonction de la loi commune. C'est ce que dit la loi de 1905. 

 

C'est ce que nous rappelons ici, comme dans toute la République, aujourd’hui et dans l’avenir, par le geste symbolique de planter l'arbre de la laïcité.

 

Pour rappeler à ceux qui l'ont oublié ce que disait le grand Jaurès il y a un siècle : "laïcité et démocratie sont indissociables".

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