La "cérémonie cannibale" : l'homo politicus en danger de mort ?

Publié le 24 Juin 2013

La "cérémonie cannibale" : l'homo politicus en danger de mort ?

La surexposition médiatique de l’homo politicus n’est-elle pas paradoxalement le signe de sa disparition possible ? C’est ce à quoi Christian Salmon (1) nous invite à réfléchir dans son dernier essai : La cérémonie cannibale (2).

Analysant les effets d’une double révolution -« la révolution néolibérale initiée au début des années 1980 » d’une part ; la révolution technologique des moyens de télécommunication d’autre part- Christian Salmon déconstruit l’exercice actuel d’un Etat en perte de souveraineté à l’époque des chaînes du « tout info ».

Confronté à une mondialisation diminuant sa capacité d’action et cela en période d’ «ébullition informationnelle », l’homo politicus tente de sauver les apparences en se démenant médiatiquement afin de capter l’attention d’une « audience » de plus en plus…« zappante ». Incapable d’inscrire la marque de sa volonté dans l’Histoire, le politique s’efforce de réaliser des « performances narratives » en racontant des histoires, aussitôt consommées par les spectateurs, aussitôt « décryptées» par les journalistes.

La conclusion de Christian Salmon est sans appel : « Désacralisé, profané par les médias, ridiculisé par les marchés, soumis à la tutelle des institutions internationales et des agences de notation, L’Etat est désormais ce trou noir qui aspire ce qu’il reste du rayonnement du politique. L’homo politicus y apparaît non plus comme le porteur d’un changement annoncé, mais comme le spectre éclairé par les flammes de sa propre dévoration ».

Impossible à qui veut penser la situation du politique d’ignorer les analyses de Christian Salmon et les questions soulevées par son essai.

Impossible aussi à quiconque s’engage pour transformer le réel et non pour réaliser des « performances narratives » d’occulter le double péril conduisant à la “cérémonie cannibale” : celui du libéralisme confiant le pouvoir aux marchés d’un côté, celui de la spirale d’une ébullition informationnelle où l’homo politicus se consomme et à termes se consume de l’autre.

Impossible enfin à qui persisterait après avoir lu La cérémonie cannibale de ne pas expliquer les raisons d’un tel engagement malgré tout…

Ce fut tout le sens du débat initié par Gauche Avenir Vendée (3) entre Christian Salmon, venu présenter son essai et Emmanuel Maurel (4).

Tout en reconnaissant la pertinence du diagnostic sur la situation actuelle, Emmanuel Maurel a insisté sur la nécessité de mener la bataille idéologique face au libéralisme et celle-ci passe nécessairement par la vigilance à l’égard du poids des mots (parler de « charges » et non de « cotisations sociales » n’est, par exemple, assurément pas idéologiquement neutre !). Mais il faut aussi assumer une conflictualité politique et refuser le « social-défaitisme » qui anticipe par avance un rapport de force défavorable et mener des réformes institutionnelles en phase avec une citoyenneté véritable car les « institutions pensent ».

Dans Storytelling, Christian Salmon ne livrait pas un simple constat à propos de l’usage du récit en politique et encore moins un manuel de « campagne électorale pour les nuls ». En appelant explicitement à la reconquête par les citoyens « de leurs moyens d’expression et de narration » et en dessinant ainsi un « nouveau champ de luttes démocratiques », son travail répondait à un intérêt de connaissance émancipateur.

Malgré l’impression d’inéluctabilité de la disparition annoncée de l’homo politicus que peut en laisser la lecture, La cérémonie cannibale doit également inciter toutes celles et ceux qui ont pour idéal une société émancipatrice à lutter contre une auto- dévoration démocratiquement si problématique.

Il est assurément difficile de sortir du théâtre d’ombres spectrales auquel nous assistons quotidiennement mais penser la disparition du politique comme fatale reviendrait peut-être à tomber une nouvelle fois dans le panneau idéologique du « there’s no alternative ».

Martine Chantecaille

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(1) Christian Salmon est écrivain, chercheur au CNRS, auteur notamment de Storytelling, la machine à fabriquer des histoires (2007)

(2) La cérémonie cannibale, Fayard, Paris, 2013. L’essai vient de recevoir le prix de l’Express du meilleur essai 2013.

( 3) Gauche Avenir Vendée existe depuis 2010. L’association est la déclinaison locale du club national “Gauche Avenir” lancé en juin 2007 par 18 personnalités issues des diverses sensibilités de la gauche (responsables politiques, syndicaux ou associatifs, intellectuels, journalistes)qui prône le rassemblement de la Gauche.

(4) Emmanuel Maurel est professeur de droit constitutionnel, Vice-président de la région Ile de France, membre du bureau national du Parti Socialiste, responsable national du courant de l’aîle gauche “Maintenant la gauche”.

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Rédigé par gaucheavenirvendee.over-blog.com

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